Encadrement des loyers, expérimentation et obligation d’appliquer la loi

immeuble-moderne-urbanisme-jorion-avocats-ALUR

Conseil d’Etat, 15 mars 2017, Association Bail à part, tremplin pour le logement, req. n° 391654

Résumé :

Une décision du Premier ministre, révélée par un discours, de ne mettre en œuvre le dispositif d’encadrement des loyers issu de la loi ALUR ( Accès au Logement et un Urbanisme Rénové ) que dans certaines régions, alors que la loi n’a pas prévu de mise en œuvre expérimentale, est illégale.

Explications :

Le 29 août 2014, dans un discours, le Premier ministre a déclaré, à propos du dispositif d’encadrement des loyers institué par la loi ALUR, que « Cette situation complexe génère trop d’incertitude pour les investisseurs. Le dispositif sera donc appliqué à titre expérimental à Paris. Il ne sera pas étendu aux autres agglomérations concernées tant qu’un bilan sur sa mise en œuvre n’aura pas été réalisé. » Un discours postérieur a étendu ce dispositif à Lille.

Or, la loi ALUR a prévu que ce dispositif était applicable aux « zones d’urbanisation continue de plus de 50.000 habitants où il existe un déséquilibre marqué entre l’offre et la demande de logement », sans le limiter à certaines parties du territoire.

Une association a contesté la prise de position du Premier ministre.

La première difficulté a porté sur l’existence ou non d’une décision de la part du Premier ministre. Sa prise de position ne s’est pas exprimée par un acte administratif classique, tel qu’un décret ou un arrêté, mais par un discours. La jurisprudence considère, dans certains cas, qu’une prise de parole officielle se contente d’annoncer une décision à venir, et donc, faute de faire grief, qu’elle ne peut être contestée.

A l’inverse, il est déjà arrivé que la parole révèle une décision. Le meilleur exemple en est sans doute la décision du Président de la République de l’époque de reprendre les essais nucléaires en Polynésie, qui ne résultait que d’un simple discours de sa part. La requête avait été jugée recevable (CE, Ass. 29 septembre 1995, Association Greenpeace France, req. n° 171277).

En l’espèce, le Conseil d’Etat a jugé que les déclarations du Premier ministre révélaient une décision de ce dernier. Une telle décision pouvait donc être contestée en justice.

La deuxième difficulté a porté sur le bien-fondé de la position du Premier ministre. Une telle position revient pour le Gouvernement à décider les parties du territoire où la loi s’applique et celles où elle ne s’applique pas.

Le Gouvernement, pour se défendre, a invoqué l’article 37-1 de la Constitution qui prévoit que « la loi et le règlement peuvent comporter, pour un objet et une durée limitée, des dispositions à caractère expérimental. » Il s’agissait donc pour lui d’affirmer la possibilité de n’appliquer la loi qu’expérimentalement, sur une partie seulement du territoire, avant de l’étendre éventuellement en fonction de ses résultats.

Une telle expérimentation, pour être conforme au principe d’égalité, doit être définie de façon suffisamment précise par la loi (Conseil Constitutionnel, dec. n° 2011-635 DC du 4 aout 2011, § 19).

Si le Conseil d’Etat admet le principe d’une telle expérimentation, encore faut-il que la loi l’ait elle-même prévu. Or, ce n’était pas le cas en l’espèce, la loi ayant prévu une application pour toutes les zones concernées. Il a donc annulé la décision contestée.

Avec cet arrêt, le Conseil d’Etat rappelle ainsi, pour le pouvoir exécutif, l’obligation d’appliquer la loi, toute la loi. Face à une loi imparfaite, il convenait pour le Gouvernement, soit de ne pas la faire voter, soit de la faire modifier par le Parlement.

Benoit JORION

Avocat à la Cour d’appel de Paris
Spécialiste en droit public