Pouvoir de Police du Maire, inhumation et terroriste

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Commentaire de l’arrêt du Conseil d’Etat du 16 décembre 2016, commune de Mantes-la-Jolie, n°403738.

Résumé :

Les pouvoirs de police générale et spéciale du maire lui permettent de prendre les mesures nécessaires pour prévenir les troubles à l’ordre public que pourrait susciter l’inhumation dans un cimetière de la commune d’une personne qui a commis des actes d’une particulière gravité ayant affecté cette collectivité. La circonstance que ces actes sont à l’origine du décès de l’intéressé est sans incidence sur la possibilité de prendre de telles mesures. Il appartient au maire, lorsqu’il constate un risque de troubles, de fixer des modalités d’inhumation de nature à préserver l’ordre public. En présence d’un risque de troubles tel qu’aucune autre mesure ne serait de nature à le prévenir, le maire peut légalement refuser l’autorisation d’inhumation, sans qu’y fassent obstacle les dispositions du code général des collectivités territoriales relatives au droit de sépulture, qui doivent être conciliées avec celles qui confient au maire des pouvoirs de police.

Explications :

Au lendemain de chaque attentat, la délicate question de l’inhumation des terroristes s’est posée.

En France, de nombreux maires ont refusé d’accueillir la dépouille des terroristes.

Cela a été le cas du maire de Mantes-la-Jolie qui a souhaité refuser l’autorisation d’inhumer le corps de Larossi ABBALLA, qui se revendiquait du groupe Etat islamique, abattu par un groupe d’intervention du RAID, après qu’il eut tué un couple de fonctionnaires de police à leur domicile, situé sur le territoire de la commune voisine de Magnanville.

L’un des deux fonctionnaires tués était en poste au commissariat de Mantes-la-Jolie.

La famille de Larossi ABBALLA a saisi le Tribunal administratif de Versailles d’une requête aux fins d’annulation de cette décision.

A l’occasion de cette instance, la commune de Mantes-la-Jolie a soulevé une question prioritaire de constitutionnalité relative à la constitutionnalité des articles L.2223-3 et L.2213-9 du Code général des collectivités territoriales, relatifs au droit de sépulture et aux pouvoirs de police du maire en matière de funérailles et de lieux de sépulture.

Le Tribunal administratif de Versailles a fait droit à cette demande et a transmis au Conseil d’Etat la question prioritaire de constitutionnalité.

La question était en effet suffisamment sérieuse.

L’article L.2223-3 du Code général des collectivités territoriales pose que :

« La sépulture dans un cimetière d’une commune est due :

1° Aux personnes décédées sur son territoire, quel que soit leur domicile ;

2° Aux personnes domiciliées sur son territoire, alors même qu’elles seraient décédées dans une autre commune ;

3° Aux personnes non domiciliées dans la commune mais qui y ont droit à une sépulture de famille ;

4° Aux Français établis hors de France n’ayant pas une sépulture de famille dans la commune et qui sont inscrits sur la liste électorale de celle-ci. »

L’article L.2213-9 du même code pose que :

« Sont soumis au pouvoir de police du maire le mode de transport des personnes décédées, le maintien de l’ordre et de la décence dans les cimetières, les inhumations et les exhumations, sans qu’il soit permis d’établir des distinctions ou des prescriptions particulières à raison des croyances ou du culte du défunt ou des circonstances qui ont accompagné sa mort.».

Il résulte de ces articles une importante restriction au pouvoir de police du maire quant à l’inhumation du corps d’une personne y compris coupable d’acte de terrorisme, puisque, dans la mesure où la personne décédée est domiciliée, ou est décédée, sur le territoire d’une commune, une sépulture lui est due. Le maire de la commune concernée ne peut pas établir de distinctions entre les inhumations à raison des circonstances qui ont accompagné la mort de la personne.

La combinaison des deux articles précités ne semblait donc laisser aucun pouvoir d’appréciation à la commune choisie par la famille d’une personne, domiciliée dans cette commune, coupable d’acte de terrorisme pour l’inhumation de son corps.

Si le Conseil d’Etat a décidé qu’il n’y avait pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la commune de Mantes-la-Jolie, il a néanmoins donné une analyse très intéressante de la conciliation entre les pouvoirs de police générale et spéciale du maire en matière de funérailles.

Il a ainsi précisé qu’ « en présence d’un risque de troubles tel que, dans les circonstances de l’espèce, aucune autre mesure ne serait de nature à le prévenir, le maire peut légalement refuser l’autorisation d’inhumation ».

En conséquence, un maire peut user de son pouvoir de police, dont l’une des composantes est le maintien de l’ordre public, pour refuser l’autorisation d’inhumation.

Dans les circonstances de l’espèce, il semblait bien exister un risque manifeste de trouble à l’ordre public.

Le crime avait été revendiqué par l’Etat islamiste.

L’un des deux fonctionnaires tués était en poste au commissariat de Mantes-la-Jolie. La commune de Magnanville ne disposant pas de commissariat, elle est rattachée au commissariat de Mantes-la-Jolie, ville voisine. Les fonctionnaires de police qui étaient intervenus sur la scène de crime étaient donc des collègues de l’une des victimes.

Ce crime avait suscité un vif émoi au sein des services de la police nationale, ainsi qu’au sein de la société française toute entière. Deux manifestations avaient été organisées, sur le territoire de la commune de Mantes-la-Jolie, à la suite de cet évènement tragique. L’une avait été organisée par de nombreux policiers, la seconde par la communauté musulmane de Mantes-la-Jolie.

La communauté musulmane de Mantes-la-Jolie s’était publiquement opposée à l’inhumation du corps de Larossi ABBALLA sur le territoire de la commune de Mantes-la-Jolie. La grande mosquée de Mantes-la-Jolie avait indiqué qu’elle refuserait d’organiser le rite funéraire.

Il semblait donc exister un risque important de troubles tel qu’aucune autre mesure que le refus de l’autorisation d’inhumation n’aurait été de nature à le prévenir.

Cependant, le Tribunal administratif de Versailles n’aura pas à trancher la question puisque les requérants se sont désistés, suite à l’inhumation du corps de Larossi ABBALLA au Maroc.

Géraldine PRYFER
Avocat à la Cour d’appel de Paris