Le juge des référés prend désormais en compte les intérêts du vendeur lorsqu’il décide de suspendre une décision de préemption

Préemption-juge des référés

(CE, 24 juillet 2019, SCI Madeleine, req. n° 428552, mentionné aux tables).

 Les juridictions administratives suspendent assez facilement les décisions de préemption. L’acquéreur évincé, lorsqu’il en demande la suspension, bénéficie en effet d’une présomption d’urgence (CE, 13 novembre 2002, req. n° 248851, publié au recueil). Par ailleurs, il a été posé que la suspension faisait obstacle, à la fois à la prise de possession et au transfert de propriété du bien préempté au bénéfice du titulaire du droit de préemption et aussi permettait aux signataires de la promesse de vente de mener la vente à son terme. Il a cependant été admis que le juge pouvait ne limiter la suspension qu’à la première de ces deux catégories d’effets (C3, 23 juillet 2002, société Atlantique terrains, req. n° 254837, mentionnés aux tables).

Une telle solution est protectrice de l’acquéreur, puisqu’elle empêche l’acquisition du bien préempté par le titulaire du droit de préemption. La réticence des notaires rend souvent difficile le passage de la vente avant que l’affaire ne soit jugée au fond. En conséquence, le vendeur peut être pénalisé car il ne peut vendre son bien ni à l’acquéreur, ni au titulaire du droit de préemption.

Le Conseil d’Etat vient de tenter de rééquilibrer ce fragile équilibre en posant que « Toutefois, le juge des référés, qui doit prendre en considération les incidences de la suspension pour l’ensemble des personnes intéressées, tout en préservant les intérêts du futur propriétaire, quel qu’il soit, peut notamment suspendre la décision de préemption en tant seulement qu’elle permet à la collectivité publique de disposer du bien et d’en user dans des conditions qui rendraient difficilement réversible la décision de préemption, en précisant alors que son ordonnance ne fait pas obstacle à la signature de l’acte authentique et au paiement du prix d’acquisition, ou au contraire la suspendre en tant qu’elle fait obstacle à la vente au bénéfice de l’acquéreur initial, à ses risques et périls et, le cas échéant, sous les mêmes réserves relatives à la disposition et à l’usage du bien ». En conséquence, le juge du référé peut permettre la cession du bien mais suspendre la libre disposition du bien, soit par le titulaire du droit de préemption, soit par l’acquéreur initial. L’effet de la suspension est donc différé et limité à certain des effets de la décision : il n’empêche plus la vente, mais limite l’exercice du droit de propriété par l’acquéreur, quel qu’il soit. Les droits du vendeur, puisqu’il peut vendre son bien, sont incontestablement préservés. Les droits de l’acquéreur initial le sont beaucoup moins puisqu’il devra, soit supporter les délais de la rétrocession du bien illégalement préempté s’il a été acquis par le titulaire du droit de préemption, soit acquérir un bien, dont il sait qu’il ne pourra pas faire grand-chose. Le Conseil d’Etat invente ainsi une sorte de suspension à effet différé, qui ne suspend pas la décision de préemption elle-même, en dépit de l’existence d’un doute sérieux sur sa légalité, mais suspend les droits du futur propriétaire du bien préempté.

 

 

Benoît JORION

Avocat à la Cour d’appel de Paris

Spécialiste en droit public

Benoit Jorion