Exemples de projets insuffisamment réels en cas de préemption

La jurisprudence exige que les titulaires du droit de préemption urbain puissent justifier, à la date de la préemption, « de la réalité d’un projet d’action ou d’opération d’aménagement répondant aux objets mentionnés à l’article L. 300-1 du code de l’urbanisme, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n’auraient pas été définies à cette date » (CE, 7 mars 2008, Commune de Meung-sur-Loire, req. n° 288371, publié au recueil).

Les projets sont apparus comme insuffisamment réels dans les cas suivants :

Hangar de stockage : « Le maire de Saint-Gervasy a exercé le droit de préemption urbain sur les parcelles en question afin de transformer le bâtiment à usage commercial en hangar de stockage destiné au matériel des services techniques communaux. La transformation de ce bâtiment ne saurait constituer, à elle seule, dès lors qu’elles ne s’inscrivent pas dans un projet plus global relevant de l’article L. 300-1, l’une des actions ou opérations d’aménagement mentionnées par les dispositions citées au paragraphe ci-dessus. Elle ne répond en outre à aucun des objectifs définis au même article L. 300-1 » (CAA Marseille, 10 mars 2021, commune de Saint Gervasy, req. n° 19MA03042).

Logements sociaux : « Il ressort des termes de la décision de préemption litigieuse que celle-ci repose sur la volonté de la commune de « répondre aux besoins de la population en matière d’habitat en proposant une offre de logements diversifiés, de proposer des logements adaptés à tous les stades du parcours résidentiel de la population et de lutter contre l’exode rural des jeunes ménages en réalisant plusieurs logements locatifs garantissant des loyers maîtrisés ». Cette motivation ne renvoie à aucun objectif ou orientation d’un plan local de l’habitat, ne fait état d’aucun document ou étude justifiant la réalité d’un projet d’action ou d’aménagement, même encore imprécis, au sens des dispositions précitées du code de l’urbanisme. Par suite, la société Eco-Lot est fondée à soutenir que la décision attaquée méconnaît les exigences de motivation prévues par l’article L. 210-1 précité du code de l’urbanisme. » CAA Versailles, 8 avril 2021, société Eco Lot, req. n° 19VE01407)

Projet d’aménagement : « Pour prendre la décision contestée, qui se réfère explicitement à l’article L. 210-1 du code de l’urbanisme relatif au droit de préemption urbain, le maire a relevé que le bien pour lequel la préemption est exercée se trouve dans le coeur historique et touristique de la ville où la commune « souhaite mettre en oeuvre une politique volontariste visant à développer l’activité commerciale de son centre-ville tout en s’efforçant d’assurer une diversité commerciale ». 5. Afin de justifier de la réalité de son projet d’aménagement, la commune met en avant l’objectif de revitalisation du centre-ville mentionné dans les orientations du projet d’aménagement et de développement durables de son plan local d’urbanisme et sa politique de renforcement des commerces dans cette partie de son territoire. De telles considérations, alors même que la commune a manifesté son opposition à l’installation d’une grande enseigne en périphérie de son territoire lors de l’instruction d’une demande de permis de construire soumise aux règles de l’urbanisme commercial, demeurent vagues et sont en particulier dépourvues de toute référence à un projet, même non précisément défini, concrétisant les ambitions communales en matière de maintien et de développement des activités commerciales dans le centre-ville. 6. La circonstance que la commune de Castres ait ponctuellement fait usage de son droit de préemption entre 2012 et 2017 dans le but de redynamiser certains commerces du centre-ville ne permet pas non plus de caractériser la nature du projet d’aménagement à la réalisation duquel la décision en litige du 9 janvier 2018 est censée contribuer. 7. Enfin, la décision du 9 janvier 2018 fait application, ainsi qu’il a été dit, de l’article L. 210-1 du code de l’urbanisme relatif à l’exercice du droit de préemption urbain et non de l’article L. 214-1 du même code qui concerne le droit, distinct, de préemption sur les fonds de commerce. Par suite, la commune ne peut utilement soutenir que la réalité de son projet est établie par l’existence des délibérations du 8 juillet 2008 et du 15 décembre 2015 de son conseil municipal instituant, dans un périmètre incluant l’immeuble préempté, le droit de préemption sur les fonds de commerce. Au demeurant, ces délibérations, qui procèdent seulement à la délimitation du périmètre de ce droit de préemption, ne révèlent aucunement l’existence d’un projet précis qui aurait permis de fonder légalement les décisions en litige. » (CAA Bordeaux, 9 février 2021, Commune de Castres, req. n° 19BX00668)

« Il ne ressort toutefois pas des pièces du dossier que le juge des référés aurait dénaturé les faits de l’espèce ni, eu égard à son office, commis une erreur de droit en retenant comme étant de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de la décision litigieuse le moyen tiré de l’absence de réalité, à la date de cette décision, du projet d’action ou d’opération d’aménagement l’ayant justifiée, alors qu’il ressort des pièces versées au dossier du juge des référés du tribunal administratif, d’une part, que le programme  » action coeur de ville « , auquel se réfère la décision en litige, s’il prévoit l’aménagement du  » pôle gare « , ne s’étend pas au secteur, située au-delà de la gare et à l’extérieur du coeur de ville, dans lequel se trouve la parcelle préemptée et ne comporte aucune mesure se rattachant au développement économique de ce secteur et, d’autre part, que le projet de création d’un site économique à vocation intercommunale n’apparaît que dans la délibération du conseil communautaire de la communauté de communes du Perche du 4 juin 2020 décidant de la préemption. » (CE, 21 mai 2021, commune de Nogent-le-Rotrou, req. n° 445049)

« Il ne ressort d’aucune pièce versée au dossier que les documents d’urbanisme en vigueur, ou la délibération du 12 avril 2018 à laquelle la commune fait référence, auraient envisagé sur le secteur concerné la construction de logements et notamment de logements à destination des seniors ou des personnes à mobilité réduite ni d’y créer des liaisons piétonnes précisément identifiées. Si la commune se prévaut d’un document de travail intitulé  » programme d’orientations et d’actions – habitat  » du 23 janvier 2018 élaboré dans le cadre du futur PLUi de Dijon Métropole mentionnant que, concernant le site Clos/Fontaine, est proposé la délimitation d’un secteur de projet assorti d’une orientation d’aménagement et de programmation encadrant la production de logements et le maintien des continuités végétales, ce document ne constitue qu’un document de travail et aucun des documents présentés par la commune de Daix ne permet d’identifier la nature de l’opération ou de l’action entrant dans le champ de l’article L. 300-1 du code de l’urbanisme pour la réalisation de laquelle le droit de préemption de la commune a été exercé » (CAA Lyon, 10 juin 2021, commune de Daix, req. n° 20LY00235)

« L’îlot bâti accueillant  » Le bar du pont « , dont il n’est pas contesté qu’il est effectivement exploité par les époux A…, n’est toutefois pas inclus dans le périmètre du projet de réaménagement d’ensemble du parc du château de Longvic et des rives adjacentes de l’Ouche, dont il est distant d’une trentaine de mètres. L’établissement n’est d’ailleurs mentionné ni sur la plaquette de présentation des travaux de réaménagement du centre-ville versée aux débats, ni dans les délibérations budgétaires relatives à ces travaux, ni dans les principales préconisations de l’étude relative à l’élaboration d’un schéma directeur d’aménagement du parc du château. La circonstance que la commune ait demandé l’inscription du bâtiment en litige au patrimoine identifié localement comme remarquable n’impose pas, par elle-même, sa maîtrise foncière. Par suite, si la commune établit la réalité d’un projet d’aménagement du centre-ville à proximité du bien préempté, elle ne justifie pas de l’insertion de ce même bien dans son projet d’ensemble, et donc de la réalité d’un projet d’action visant la parcelle en litige, ainsi que l’ont retenu à bon droit les premiers juges. » (CAA Lyon, 28 octobre 2021, commune de Longvic, req. n° 20LY00109)

Benoît Jorion

Avocat à la Cour d’appel de Paris

Spécialiste en droit public