Date d’estimation des biens expropriés pour leur indemnisation

L’article L. 322- 2 du code de l’expropriation pose par principe que « Les biens sont estimés à la date de la décision de première instance ». Le principe est donc celui d’une évaluation au plus près de la date à laquelle le prix sera versé. Cependant, le même article crée de nombreuses exceptions. Le Conseil constitutionnel, saisi de la conformité à la constitution de ces dispositions, résume ainsi l’argumentation des parties : « Les requérants reprochent à ces dispositions de prévoir des modalités inconstitutionnelles d’évaluation du bien exproprié en cas d’opération qu’ils qualifient d’« expropriation pour revendre ». En effet, elles ne permettraient pas au juge de l’expropriation d’accorder une juste et intégrale indemnité dès lors qu’elles lui imposent d’évaluer ce bien en considération de son seul usage effectif à une date située très en amont de celle à laquelle il fixe le montant de l’indemnité, sans lui permettre de tenir compte du prix auquel l’expropriant entend vendre le bien, dans des conditions déjà connues et lui permettant de réaliser une plus-value substantielle certaine. Ce faisant, elles méconnaîtraient les exigences de l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. »

Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel admet globalement le bien fondé de ce dispositif en considérant que « les dispositions contestées visent à protéger (l’expropriant) contre la hausse de la valeur vénale du bien résultant des perspectives ouvertes par ces travaux ou opérations » et donc que « le législateur a ainsi entendu éviter que la réalisation d’un projet d’utilité publique soit compromise par une telle hausse de la valeur vénale du bien exproprié, au détriment du bon usage des deniers publics. Ce faisant, il a poursuivi un objectif d’intérêt général. »

Face à cette prise en compte du bon usage des deniers publics au détriment de l’indemnisation de l’exproprié, le Conseil constitutionnel introduit cependant une forme de réserve d’interprétation en rappelant que « le juge peut tenir compte des changements de valeur subis par le bien exproprié depuis la date de référence à la suite de circonstances autres que celles prévues au dernier alinéa de l’article L. 322-2 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique. À ce titre, il peut notamment prendre en compte l’évolution du marché de l’immobilier pour estimer la valeur du bien exproprié à la date de sa décision » (Cons. Cons, décision n° 2021-915/916 QPC du 11 juin 2021).

 

Benoît Jorion

Avocat à la Cour d’appel de Paris

Spécialiste en droit public