Réalité du projet des décisions de préemption. Exemples de projets insuffisamment réels

La jurisprudence exige que les titulaires du droit de préemption urbain puissent justifier, à la date de la préemption, « de la réalité d’un projet d’action ou d’opération d’aménagement répondant aux objets mentionnés à l’article L. 300-1 du code de l’urbanisme, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n’auraient pas été définies à cette date » (CE, 7 mars 2008, Commune de Meung-sur-Loire, req. n° 288371, publié au recueil).

Les projets sont apparus comme insuffisamment réels dans les cas suivants :

Projet général (réalisation de logements) difficilement réalisable sur la parcelle préemptée : « Il ressort des pièces du dossier que la décision litigieuse est motivée par la volonté de la commune de construire des logements sur la parcelle préemptée, en vue de répondre à l’objectif du programme local de l’habitat de proposer une offre de logement suffisante et aux objectifs de livraison de logements fixés par ce programme pour la période allant de 2010 à 2015. Si elle fait ainsi apparaître la nature du projet d’action ou d’opération d’aménagement poursuivi, il ne ressort pas du programme local de l’habitat pour la période considérée qu’il envisagerait, dans le secteur de la parcelle préemptée, la construction de logements pour en accroître l’offre dans l’agglomération. Il ressort en outre des pièces du dossier que le « schéma de faisabilité » établi en août 2011 en vue de la construction de deux lots de logements sur la parcelle et sur la parcelle voisine appartenant toujours à Electricité de France était particulièrement succinct et que de fortes contraintes s’opposent à la réalisation d’un tel projet sur cette parcelle, qui est enclavée sur trois côtés, située dans la zone de dangers d’une centrale hydroélectrique et à proximité d’une plateforme chimique et classée par le plan local d’urbanisme en zone UA indice « ru » ne permettant la construction d’habitations que sous réserve de mesures de confinement vis-à-vis de ces aléas technologiques. Dans ces conditions, la réalité, à la date de la décision de préemption, du projet d’action ou d’opération d’aménagement l’ayant justifiée ne peut être regardée comme établie pour cette parcelle qui, au surplus, a été revendue par la commune à l’établissement public foncier local de la région grenobloise dans un but de réserve foncière en vertu d’un acte authentique du 20 janvier 2012 pris, après une délibération en ce sens du conseil municipal intervenue dès le 25 octobre 2011 » (CE, 15 juillet 2020, commune d’Echirolles, req. n° 432325, mentionnés aux tables).

Absence de projet réel et de cadre général : « La décision attaquée est motivée par le seul objectif d’accueillir sur la parcelle préemptée un bâtiment devant répondre à la mission de l’établissement public foncier relatif au logement social. Elle ne fait toutefois état d’aucun projet réel envisagé par l’établissement public. Le seul objectif de développement du logement social n’a pas la nature d’un aménagement au sens de l’article L. 300-1 du code de l’urbanisme précité. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier que la commune de Générac aurait délibéré en la matière, pour définir le cadre des actions qu’elle entend mettre en oeuvre pour mener à bien un programme de construction de logements locatifs sociaux. Dans ces conditions, l’établissement public ne justifie pas de la réalité d’un projet d’action ou d’opération d’aménagement répondant aux objets mentionnés à l’article L. 300-1 du code de l’urbanisme. La carence de la commune en matière de constructions de logements sociaux ne saurait pallier l’illégalité de la décision attaquée » (CAA Marseille, 17 juillet 2020, EPF Languedoc Roussillon, req. n° 18MA02154).

Note contemporaine de la décision de préemption qui ne démontre pas la réalité du projet : « Toutefois, si la communauté d’agglomération Val-Parisis soutient que l’exercice du droit de préemption sur les parcelles cadastrées section AM n° 378-379-380-382-384 situées 271 à 277 chaussée Jules-César à Beauchamps (95) dans la zone industrielle ouest de Beauchamps est en l’espèce justifié par la nécessité d’y relocaliser les activités existant dans l’aire de réaménagement de la RD 14 comprise dans la zone d’activités économiques de la Patte d’Oie, l’existence d’une coordination entre le projet d’aménagement des abords de la RD 14 et celui de la zone industrielle ouest de Beauchamps n’est pas démontrée par la seule production d’une note du 10 janvier 2017, contemporaine de la décision de préemption attaquée. Ainsi, la réalité, à cette date, d’un projet d’action ou d’opération d’aménagement au sens des dispositions, mentionnées au point 1, des articles L. 210-1 et L. 300-1 du code de l’urbanisme n’est pas établie. Par suite, la société Delbat est fondée à soutenir qu’aucun projet d’aménagement ne peut être regardé comme justifiant l’exercice du droit de préemption sur les terrains en cause » (CAA Versailles, 15 octobre 2020, CA Val Parisis, req. n° 19VE02191).

Benoît JORION

Avocat à la Cour d’appel de Paris

Spécialiste en droit public