Exemples de motivation insuffisante d’une décision de préemption

Préemption- décision de préemption

La jurisprudence exige que la décision de préemption fasse apparaître « la nature » du projet poursuivi (CE, 7 mars 2008, Commune de Meung-sur-Loire, req. n° 288371, publié au recueil).

A titre d’illustration, les motivations suivantes ont été jugées insuffisantes :

A propos d’un droit de préemption urbain simple : « Il ressort des termes de la décision en date du 8 juillet 2016 du maire de la commune de Villepinte que l’objectif de la préemption litigieuse est fondée sur la volonté de  » développer une opération mixte de logements et d’activités valorisant l’intérêt patrimonial de ce bien et répondant aux objectifs de la ville en matière de mixité de l’habitat « . La décision, si elle se réfère à la localisation du bien dans un secteur de développement du territoire communal identifié dans le projet d’aménagement et de développement durable et dans le plan local d’urbanisme et à la circonstance que le bien est répertorié dans le plan du patrimoine architectural, urbain et paysager, ne fait cependant état d’aucun projet d’action ou d’aménagement, même encore imprécis, au sens des dispositions précitées du code de l’urbanisme. La production au cours de la procédure devant le Tribunal administratif de Montreuil d’une étude de faisabilité datée du 6 juillet 2016 réalisée par Bondy Habitat n’est pas de nature à pallier l’insuffisante motivation de la décision attaquée. Par suite, la société Axibat est fondée à soutenir que la décision du maire de la commune de Villepinte en date du 8 juillet 2016 est insuffisamment motivée et à en demander l’annulation » (CAA Versailles, 14 mars 2019, société Axibat, req. n° 17VE01637) ;

A propos d’une motivation par référence à un programme local de l’habitat : « D’une part, si les décisions de préemption en litige visent les délibérations du conseil de Nantes Métropole des 10 décembre 2010 et 15 décembre 2014, approuvant, respectivement, le programme local de l’habitat et le bilan 2013 de ce programme, elles ne précisent pas à quelle action ou opération d’aménagement de ce programme, l’exercice du droit de préemption se rattache. En outre, il ne ressort pas de ce programme que les parcelles préemptées soient situées dans un des secteurs de la commune dans lesquels des projets et opérations ont été intégrés dans le cadre du programme 2010-2016, ni dans les opérations envisagées au-delà de ce programme. Dès lors, il ne permet pas de déterminer la nature de l’action ou de l’opération d’aménagement que la commune entendait mener dans le secteur géographique de ces parcelles. 11. D’autre part, les décisions de préemption en litige ont été prises afin de constituer une réserve foncière. Après avoir rappelé les objectifs assignés à la commune par le programme local de l’habitat, d’arrêter 50 logements commencés par an dont 13 logements sociaux et que le bilan 2013 de ce programme fait apparaître un déficit de 482 logements sociaux, elles se bornent à faire valoir la nécessité de trouver de nouvelles potentialités d’opérations à lancer sur les années à venir afin de répondre aux objectifs de ce programme. Ces énonciations ne font pas elles-mêmes apparaître la nature du projet d’aménagement envisagé par la collectivité » (CAA Nantes, 20 juin 2019, commue de Basse-Goulaine, req. n° NT02853) ;

A propos d’une motivation aussi vague que multiple : « En l’espèce, la décision attaquée mentionne que  » l’acquisition de cette propriété [préemptée] permettrait à la commune de poursuivre sa politique locale de l’habitat dont l’un des objectifs est de mettre en place les actions et opérations d’aménagement en matière d’habitat et sa politique économique locale en matière commerciale de revitalisation, de maintien, d’extension ou d’accueil des activités économiques et commerciales « . Cette motivation de la décision de préemption en litige, qui ne vise même pas les délibérations du conseil municipal de la commune de Drancy qui auraient défini la politique locale de l’habitat et la politique économique locale, ne fait pas apparaître la nature du projet d’aménagement poursuivi. Dès lors, cette décision ne répond pas à l’exigence de motivation prescrite par les dispositions spéciales mentionnées aux points 6 et 7. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation doit être accueilli » (CAA Versailles, 7 février 2019, commune de Drancy, req. n 16VE03841) ;

A propos d’une décision de préemption en espaces naturels sensibles, dont le régime de motivation relève de la loi du 11 juillet 2019 et qui ne contenait aucune motivation : « Les décisions de préemption sont des décisions individuelles imposant des sujétions qui doivent être motivées au regard de l’article 1er de la loi du 11 juillet 1979, désormais codifié à l’article L. 211-2 du code des relations entre le public et l’administration. La délibération litigieuse, laquelle doit être considérée comme la décision de préemption elle-même, ne contient aucune considération de droit, ainsi que l’a jugé à bon droit le tribunal administratif. La lettre de notification à la SCI de cette délibération, qui mentionne les articles R. 213-12 et L. 213-14 du code de l’urbanisme, dispositions qui ont trait aux conditions dans lesquelles doit être signé l’acte de vente et payé le prix du bien préempté, ne pallie pas cette carence. Si à cette lettre était également jointe la déclaration d’intention d’aliéner qui se réfère quant à elle à l’article L. 142-1 du code de l’urbanisme, la motivation en droit demeure insuffisante. Enfin, si la commune de Caudebronde soutient que le défaut de motivation en droit n’a exercé aucune influence sur le sens de la décision ni privé la SCI Lalie d’une garantie, ces circonstances sont sans incidence sur les conséquences qui s’attachent à une illégalité tenant en un tel vice » (CAA Marseille, 1er avril 2019, commune de Caudebronde, req. n° 17MA02945) ;

Toujours à propos d’une décision de préemption en espaces naturels sensibles, qui doit être motivée en fait et en droit : « En second lieu, l’article 1er de la loi du 11 juillet 1979 alors en vigueur dispose que  » doivent être motivées les décisions qui (…) imposent des sujétions (…) « . Les décisions de préemption prises en application de l’article L. 142-3 du code de l’urbanisme sont des décisions individuelles imposant des sujétions. Elles entrent, par suite, dans le champ de la loi du 11 juillet 1979 et doivent, dès lors, comporter l’énoncé des motifs de droit et de fait ayant conduit l’autorité administrative à préempter. Cette obligation de motivation implique que la décision comporte une référence à l’acte portant création de la zone de préemption et indique les raisons pour lesquelles la préservation et la protection des parcelles en cause justifiaient la préemption. En revanche, elle n’impose pas à l’auteur de la décision de préciser la sensibilité du milieu naturel ou la qualité du site, dès lors que l’inclusion de parcelles dans une zone de préemption est nécessairement subordonnée à leur intérêt écologique, ou les modalités futures de protection et de mise en valeur des parcelles qu’elle envisage de préempter. Si les délibérations contestées et les courriers de notification visent les articles L. 142-1 et R. 142-1 et suivants du code de l’urbanisme, elles ne font pas référence à l’acte instituant la zone de préemption. Par suite, et alors même qu’elles préciseraient les considérations de fait ayant conduit le département à préempter les biens, ces délibérations, en l’absence de référence à l’acte portant création de la zone de préemption, sont, compte tenu à ce qui été dit au point précédent, insuffisamment motivées sans que le département de la Loire Atlantique puisse utilement alléguer la circonstance que les déclarations d’intention d’aliéner lui avaient été adressées par le notaire de l’intimée. » (CAA Nantes, 2 juillet 2019, département de la Loire-Atlantique, req. n° 17NT01263).

 

 

 

Benoît JORION

Avocat à la Cour d’appel de Paris

Spécialiste en droit public

Benoit Jorion