Exemples de cas ou le projet a été jugé insuffisamment réel

La jurisprudence exige que les titulaires du droit de préemption urbain puissent justifier, à la date de la préemption, « de la réalité d’un projet d’action ou d’opération d’aménagement répondant aux objets mentionnés à l’article L. 300-1 du code de l’urbanisme, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n’auraient pas été définies à cette date » (CE, 7 mars 2008, Commune de Meung-sur-Loire, req. n° 288371, publié au recueil).

Les projets suivants sont apparus comme insuffisamment réels dans les cas suivants :

La création d’un pôle sport et culture : « 13. La commune de Falicon a préempté le bien en question pour « créer un pôle sport et culture qui permettrait aux enfants du groupe scolaire, du centre de loisirs, de la maison des jeunes ainsi qu’aux jeunes de la commune de pratiquer des activités sportives et ludiques, et de profiter également d’un espace consacré à la culture qui serait créé à l’étage de la maison. » 14. La commune fait valoir qu’elle a mis à disposition du centre de loisirs, en 2018, un terrain lui appartenant afin que les enfants puissent y pique-niquer et faire des activités telles que le tir à l’arc. Cependant, la commune disposait déjà des terrains pour réaliser ce projet, qu’elle a mené à bien et qui ne correspond pas à celui visé par la décision de préemption. La commune fait également valoir qu’elle a créé un emplacement réservé sur une parcelle voisine, de grande taille et non construite, afin d’y réaliser un équipement sportif. Toutefois, le projet visé par la décision de préemption ne porte pas sur la réalisation d’un équipement sportif, mais sur l’acquisition d’une maison individuelle pour l’accueil de jeunes publics. Enfin, la commune ne conteste pas les attestations circonstanciées, versées au dossier, selon lesquelles la maire a déclaré à plusieurs reprises que la commune n’avait aucun projet précis pour le bien préempté. Par suite, si la commune a déclaré l’intention de réaliser le projet visé au point 13, elle ne justifie pas de la réalité de ce dernier à la date de la décision de préemption. » (CAA Marseille, 8 février 2023, commune de Falicon, req. n° 22MA01627)

La création d’une résidence sénior : « 5. Aux termes de l’arrêté en litige, le droit de préemption urbain a été exercé par le maire en vue de la création de « logements en mixité sociale notamment orientés vers les personnes âgées », de « sauvegarder et mettre en valeur une partie du patrimoine bâti du site » et à permettre « l’installation de services et divers équipements publics. ». La commune de Massieux fait valoir que la création d’une résidence « sénior ou intergénérationnelle » figurait dans le programme électoral de la liste « Massieux autrement ». Toutefois, ce programme ne précisait pas la localisation d’un tel projet sur le territoire de la commune. La commune se prévaut également du compte rendu du conseil municipal du 10 juin 2020 prévoyant le financement du bien immobilier situé , qui mentionne la création d’une « maison pluri générationnelle » ayant pour but de créer du lien entre les séniors et les jeunes. Toutefois, ce compte rendu n’explique pas pourquoi, le projet, qui est présenté comme proche d’un projet porté par la précédente municipalité, n’aura pas lieu sur le terrain qui avait été envisagé à cette fin par cette dernière, permettant de douter de la réalité de l’intention de la commune de réaliser le projet en cause sur le terrain mentionné par la délibération. Par ailleurs, aucun autre document n’atteste de la réalité de l’intention de la commune de réaliser les opérations mentionnées par la décision du 7 juillet 2020 sur les parcelles préemptées. S’il ressort des pièces du dossier que M. B a eu des échanges de courriels avec des professionnels et des associations du secteur social, le sollicitant en vue de réaliser divers types d’équipements et de résidences, ces échanges, au demeurant pour partie postérieurs à la date de la décision en litige, ne peuvent être regardés comme se rapportant au projet dont fait état la décision de préempter les parcelles en cause. Dès lors, l’intention de réaliser un projet d’aménagement précisément sur le terrain objet de la décision de préemption n’est pas établie. Par suite, l’arrêté du 7 juillet 2020 méconnaît les articles L. 210-1 et L. 300-1 du code de l’urbanisme. » (CAA Lyon, 28 mars 2023, commune de Massieux, req. n° 21LY02851)

La volonté de réaliser des logements sociaux et de maitriser la spéculation foncière : « 7. Il ressort des pièces du dossier, et notamment des indications portées sur la décision litigieuse, que la parcelle cadastrée section FO n° 61 se situe dans le périmètre d’intervention dénommé « Façade maritime » défini dans la convention opérationnelle d’action foncière pour la production de logements conclue entre la commune de La Teste-de-Buch, la communauté d’agglomération du bassin d’Arcachon sud et l’établissement public foncier de Nouvelle-Aquitaine le 23 novembre 2018, correspondant au « projet 4 » de cette convention. Toutefois, ladite convention indique, en ce qui concerne ce « projet 4 », qu’une bande d’urbanisation pourrait être envisagée dans ce secteur sensible, qu’il convient d’affiner le projet d’urbanisation et qu’une étude pourra être réalisée pour analyser la structure urbaine existante. Au regard des termes de cette convention, l’urbanisation de ce secteur ne peut être regardée que comme éventuelle à la date de la décision litigieuse, alors même que la convention du 23 novembre 2018 est intitulée « convention opérationnelle d’action foncière pour la production de logements » et que le périmètre « Façade maritime » est identifié comme un « périmètre d’intervention ». Par ailleurs, l’orientation n°1 du plan d’aménagement et de développement durables du plan local d’urbanisme de La Teste-de-Buch concernant les opérations de renouvellement urbain, qui inclut la façade maritime de la ville dans le périmètre de restructuration de l’hyper centre de la ville, indique seulement qu’une « réflexion spécifique » est nécessaire dans le cadre de la définition de ce périmètre, notamment en ce qui concerne les relations entre le tissu urbain et les nouvelles opérations et les équilibres en termes de mixité sociale, et ne permet pas davantage de considérer qu’une opération d’aménagement est envisagée dans ce secteur, contrairement à ce que soutient l’établissement public foncier de Nouvelle-Aquitaine. Dans ces conditions, c’est à bon droit que les premiers juges ont estimé que la réalité, à la date de la décision de préemption, du projet d’action ou d’opération d’aménagement l’ayant justifiée ne peut être regardée comme établie pour la parcelle cadastrée section FO n° 61. Enfin, si l’appelant fait valoir que la préemption de la parcelle en cause s’inscrit dans le cadre de la constitution d’une réserve foncière, une telle réserve ne peut être instaurée qu’en vue de la réalisation d’une action ou d’une opération d’aménagement dont la réalité est justifiée, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. » (CAA Bordeaux, 6 avril 2023, EPF Nouvelle Aquitaine, req. n° 21BX00248).

Une réserve foncière afin d’y assurer le maintien, l’extension ou l’accueil des activités économiques motivée par les dispositions d’une OAP et du PLUi : « 6. Toutefois, l’OAP n° 11 Pan Perdu et Grand Motte Est, qui porte sur une des principales zones d’activités productives de l’agglomération lyonnaise, ne fait que différents constats, comme une desserte par de grandes infrastructures et une pleine occupation, sauf dans sa partie centrale qui comporte de vastes emprises principalement investies par du stationnement de véhicules ou du stockage de conteneurs et présentées par suite comme sous-utilisées et artificialisées. Elle se fixe ensuite comme objectif, de manière générale, d’encadrer l’évolution et le redéveloppement économique à terme de ces deux secteurs, en faisant état de conditions d’urbanisation particulière avec un seuil minimal d’urbanisation, sans précisions, et en donnant les premiers variants d’aménagement, consistant à privilégier l’implantation d’activités productives et l’organisation d’une desserte viaire cohérente s’appuyant sur le réseau existant. De telles considérations générales, qui sont reprises par la décision contestée, ne peuvent, y compris celles visant à faire évoluer cette partie centrale, être regardées comme traduisant l’existence d’une action ou d’une opération d’aménagement suffisamment précise sur la parcelle sur laquelle le droit de préemption est exercé, alors même que la métropole est déjà propriétaire d’une parcelle voisine. 7. Si la métropole se prévaut par ailleurs du programme de développement économique 2016-2021 de la métropole, qui projette de promouvoir une « Métropole fabricante » à travers la consolidation du socle industriel et à travers une politique favorisant la naissance de l’innovation à l’interface des secteurs d’excellence, pour relever qu’il fonde sa recherche d’optimisation du foncier à vocation économique et, par suite, son action foncière, ce document d’ordre général ne permet pas davantage d’établir la réalité d’une action ou d’une opération d’aménagement sur la parcelle en litige. Il en est de même s’agissant de son programme de requalification de zones industrielles majeures validé en 2015, visant à resserrer l’industrie sur ces sites bénéficiant d’une localisation et d’une desserte préférentielles, eu égard aux objectifs généraux qu’il contient. 8. La métropole soutient enfin dans ses écritures avoir entendu traduire ses objectifs de développement économique dans son PLU-H, qui induit sa stratégie foncière, plus particulièrement sur des fonciers sous-utilisés. Il ressort toutefois du rapport de présentation et du projet d’aménagement et de développement durables (PADD) que la métropole se borne à y préciser, de manière générale, vouloir moderniser et renouveler le tissu économique en recherchant une meilleure optimisation des fonciers actuels offrant des potentialités de mutation ou de densification économique importants, notamment sur les secteurs de Pan Perdu et de la Grande Motte, et liés notamment à la présence d’espaces sous-utilisés de ces secteurs. Le règlement de la zone AUs.co précise quant à lui que la zone regroupe des espaces bâtis ou non, destinés à recevoir des recompositions ou des extensions urbaines, dans le respect de conditions d’aménagement et d’équipement fixées par le règlement et les OAP définies pour chaque zone. Cette politique générale de développement économique et l’axe consistant à consolider son socle industriel en garantissant une offre immobilière et foncière adaptée aux attentes des entreprises par l’optimisation du foncier, notamment dans les secteurs de la Grande Motte, ne peut toutefois être considérée comme traduisant la réalité d’un projet d’aménagement qu’elle entendrait engager ou poursuivre sur la parcelle en litige. » (CAA Lyon, 16 mai 2023, Métropole de Lyon, req. n° 21LY03616).

Un équipement collectif végétalisé décrit de façon floue par une OAP : « 13. La commune de Neuilly-Plaisance invoque les dispositions de l’orientation d’aménagement et de programmation n° 1 « vers l’affirmation d’un axe stratégique aux ambiances différenciées », notamment de sa séquence 3 « un centre-ville épaissi témoin de l’esprit de village et de la ville-jardin », selon laquelle « une ambiance végétale devra être réintroduite en travaillant notamment sur la création de promenades vertes » lesquelles « devront être végétalisées » et de l’orientation d’aménagement et de programmation thématique « trame verte et bleue » selon laquelle notamment le projet devra « permettre la cohérence du réseau écologique présent sur la commune » et « s’appuyer sur une structure d’espaces publics (…) végétalisés qui permette d’appréhender les qualités paysagères et écologiques du tissu noséen ». 14. Cependant, quand bien même les caractéristiques précises de ce projet n’avaient pas à être définies à cette date ainsi qu’il a été dit plus haut, il ne ressort pas des pièces du dossier que la création de la nature d’un équipement collectif végétalisé était prévu avant que ne soit prise la décision contestée, aucune des cartes relatives à ces orientations d’aménagement et de programmation ne mentionnant au demeurant de projet sur ou aux abords de la parcelle concernée. » (CAA Paris, 6 juillet 2023, commune de Neuilly-Plaisance, req. n° 22PA04003).

Le maintien d’une famille avec enfants dans le but de conserver les services scolaires et la construction d’un abri pour le tracteur et les matériels techniques municipaux : « 11. Les motifs d’exercice du droit de préemption avancés par la commune dans la délibération du 21 mars 2018 à laquelle la délibération du 4 avril 2018 fait référence, consistent, d’une part, en la mise en location de l’immeuble pour favoriser le maintien d’une famille avec enfants dans le but de conserver les services scolaires, d’autre part, en la construction sur l’une des deux parcelles d’un abri pour le tracteur et les matériels techniques municipaux. Il ne ressort pas des pièces du dossier que les projets envisagés répondraient aux objectifs de sauvegarde ou de mise en valeur des espaces naturels ou de constitution de réserves foncières mentionnés à l’article L.210-1 précité. Ces projets ne sauraient, en outre, constituer à eux seuls, dès lors qu’ils ne s’inscrivent pas dans un projet plus global relevant de l’article L.300-1, notamment de mise en œuvre d’une politique locale de l’habitat, de maintien des activités économiques ou de réalisation d’équipements collectifs, l’une des actions ou opérations d’aménagement mentionnées par cet article. Dès lors, la délibération attaquée méconnaît les dispositions de l’article L. 300-1 du code de l’urbanisme. » (CAA Douai, 9 novembre 2023, SARL Habitats d’avenir, req. n° 22DA00614).

L’édification de maisons pour séniors : « 6. La décision de préemption du 20 décembre 2017, mentionne la superficie du terrain préempté et sa situation à proximité de la maison de retraite existante et indique qu’il correspond à une recherche de la commune pour édifier des maisons pour séniors. Pour justifier la réalité du projet qu’elle entendrait ainsi mener, la commune de Florange se prévaut d’abord de ce que la proposition n° 58 du programme électoral de la liste élue lors des élections municipales de 2014 proposait de « programmer la construction de logements intermédiaires pour personnes âgées seules ou isolées ayant besoin d’environnement sécurité ». La commune produit également le compte-rendu établi en 2020 d’un entretien qui se serait déroulé le 2 août 2017 avec le directeur général de l’office public de l’habitat Moselis, au cours duquel il aurait évoqué le développement d’un nouveau modèle de logement senior, projet qui aurait « emporté immédiatement l’adhésion » du maire lequel aurait exprimé « le souhait de la municipalité de compléter l’offre actuelle en proposant le développement de ce nouvel habitat sur des terrains à acquérir, à proximité du foyer les Marguerites, d’une résidence autonome gérée par l’OPH Moselis et d’un EPHAD ». Il ne ressort toutefois d’aucun élément versé au dossier que la commune de Florange aurait programmé de mettre en œuvre la réalisation d’un tel projet de résidence senior après cet entretien. Si la commune fait encore valoir que l’exercice du droit de préemption constitue l’occasion pour une collectivité de saisir l’opportunité de réaliser un projet d’aménagement à l’occasion d’une aliénation portée à sa connaissance par une déclaration d’intention d’aliéner, elle ne produit aucun élément permettant d’établir qu’après avoir été informée de la déclaration d’intention d’aliéner le bien en litige, elle aurait entrepris de donner suite de façon concrète à l’intérêt de principe manifesté pour le concept de maison senior évoqué lors de l’entretien du 2 août 2017. A cet égard, si l’attestation du 14 décembre 2020 établie par le directeur général de l’OPH Moselis mentionne qu’un document de travail avait été remis au maire de la commune de Florange au terme de la réunion du 2 aout 2017 pour engager une réflexion préalable à la réalisation d’un groupe de pavillons séniors sur le concept développé par l’OPH Moselis, la commune de Florange ne justifie qu’elle y aurait donné suite avant la décision de préemption du 20 décembre 2017. » (CAA Nancy, 21 décembre 2023, commune de Florange, req. n° 20NC01000).

La réalisation de logements dans un secteur qui n’est pas couvert par une concession d’aménagement : « 14. Toutefois, en deuxième lieu, si la mesure en litige fait apparaître la nature du projet d’action ou d’opération d’aménagement poursuivi, et si, ainsi qu’elle le mentionne, le bien préempté est compris dans le périmètre de l’opération de renouvellement urbain « Grand centre- ville », il résulte de l’ensemble des stipulations de la concession d’aménagement sur laquelle elle se fonde, que l’objectif de renouvellement urbain et de production de logements, à atteindre notamment par la réhabilitation et la remise sur le marché, ne concerne que des groupes d’immeubles ou d’îlots préalablement repérés par la commune de Marseille, non seulement compris dans le périmètre de l’opération, mais encore inclus dans les pôles de projets, ou ayant donné lieu, ponctuellement, à un programme défini avec le cas échéant une évolution des pôles de projets, proposée par le concessionnaire au fur et à mesure de la réalisation de l’opération. Il ne ressort pas de cette concession et de ses avenants successifs que, pour la période considérée, cette concession envisagerait, dans le secteur de la parcelle préemptée, qui n’est pas comprise dans un pôle de projet ni dans un axe de ravalement désigné par cette convention, la production de logements par la réhabilitation d’immeubles dégradés. Dans ces conditions, alors que la SOLEAM n’allègue pas avoir proposé à l’autorité concédante l’évolution d’un des pôles de projet repérés par la concession pour y inclure l’immeuble en cause, ni avoir envisagé à d’autres titres, avant la décision en litige, la réhabilitation de ce bien pour la constitution de logements, ni qu’un tel projet était porté par cette autorité, la réalité, à cette date, du projet d’action ou d’opération d’aménagement l’ayant justifiée ne peut être regardée comme établie pour cette parcelle, ainsi que l’a jugé le tribunal. » (CAA Marseille, 3 octobre 2023, SOLEAM, req. n° 22MA00407).

Benoît Jorion

Avocat à la Cour d’appel de Paris

Spécialiste en droit public