Projets relevant du droit de préemption

L’article L. 210-1 du code de l’urbanisme pose que « Les droits de préemption institués par le présent titre sont exercés en vue de la réalisation, dans l’intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l’article L. 300-1 » L’article L. 300-1 du code de l’urbanisme donne, lui, une longue énumération de ces actions ou opérations d’aménagement (une dizaine, souvent très générales). Cet article 300-1 est donc assez souple pour permettre la préemption en vue de projets très variés :

L’hébergement de personnes déplacées en provenance d’Ukraine : « 4. En premier lieu, pour l’application de ces dispositions, l’hébergement de personnes déplacées en provenance d’Ukraine et bénéficiaires de la protection temporaire instituée, compte tenu du constat d’afflux massif de ces personnes opéré par la décision d’exécution (UE) 2022/382 du Conseil du 4 mars 2022 visée ci-dessus, en application de la directive 2001/55/CE du Conseil du 20 juillet 2001 relative à des normes minimales pour l’octroi d’une protection temporaire en cas d’afflux massif de personnes déplacées et à des mesures tendant à assurer un équilibre entre les efforts consentis par les Etats membres pour accueillir ces personnes et supporter les conséquences de cet accueil, peut être regardé comme s’inscrivant dans une politique locale de l’habitat et comme constituant une action ou une opération d’aménagement au sens de l’article L. 300-1 du code de l’urbanisme. Par suite, en retenant comme propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision de préemption en litige le moyen tiré de ce que le motif de la préemption, destinée à permettre à la commune de disposer de locaux pour l’hébergement des personnes déplacées en provenance d’Ukraine, ne constituait pas une action ou une opération d’aménagement au sens de l’article L. 300-1 du code de l’urbanisme, le juge des référés du tribunal administratif a commis une erreur de droit. » (CE, 13 octobre 2023, Commune de Cannes, req. n° 468694, mentionné aux tables).

La réalisation d’une quarantaine de logements, dont la moitié à caractère social : « un tel projet a par nature pour objet la mise en œuvre d’une politique locale de l’habitat » (CE, 30 juin 2023, SAS MJ Développement, req. n° 468543, mentionné aux tables)

La suppression de 5 logements sociaux sur un programme de 12. De façon assez contestable, le Conseil d’État a admis la préemption de places de stationnement nécessaires à la réalisation de 5 logements destinés à la vente. Initialement, un programme de 12 logements sociaux ne nécessitait pas de places de stationnement. Ce programme ayant été réduit à 7 logements sociaux et 5 destinés à la cession, des places de stationnement étaient nécessaires.

Le juge administratif a admis la légalité de la décision portant sur ces places de stationnement, alors même qu’elles étaient éloignées du terrain d’assiette du projet, en prenant en compte les « caractéristiques globales de l’opération d’aménagement à laquelle la création de ces places participe » en posant « 4. En premier lieu, les juges du fond n’ont ni dénaturé les pièces du dossier qui leur était soumis ni commis d’erreur de droit en jugeant que la commune établissait la réalité de son projet, lequel doit être apprécié, contrairement à ce qui est soutenu, non au regard de la seule création de places de stationnement à l’adresse du bien préempté mais compte tenu des caractéristiques globales de l’opération d’aménagement à laquelle la création de ces places participe. » (CE, 30 juin 2023, Vincem, req. n° 464324, mentionné aux tables).

La préservation des jardins ouvriers : « 21. En l’espèce, en premier lieu, la décision a indiqué de manière précise qu’elle avait été prise pour permettre la préservation des jardins ouvriers. Il n’est pas contesté que la parcelle en cause est occupée par de tels jardins. La préservation de ces espaces non bâtis permet de favoriser les loisirs et de sauvegarder ce patrimoine en cœur de ville, ces jardins y étant implantés depuis plus de quarante ans, et entre ainsi dans les prévisions de l’article L. 300-1 du code de l’urbanisme. » (CAA Douai, 2 février 2023, req. n° 22DA01770)

L’agrandissement de l’aire de jeux d’une école : « 8. Il ressort des pièces du dossier que le maire de Le Malzieu-Ville a exercé le droit de préemption urbain de la commune sur la parcelle dont s’agit, au même prix, en vue de l’agrandissement de l’aire de jeux du rez-de-jardin de l’école publique et l’aménagement de son accès. Il ressort en particulier du rapport de motivation annexé à la décision du 28 novembre 2018, que ce projet permettra aux élèves de profiter d’un sol végétalisé, notamment pour la pratique d’activités sportives et ludiques, évitera les déplacements des élèves vers le terrain de sports de la commune situé à 800 mètres de distance, ainsi que les décalages des récréations des classes induites par le manque de surface de jeux. En outre, ce projet d’aménagement permettra d’améliorer l’accès de l’école, après réalisation d’un nouveau portail, notamment pour les véhicules de secours et de lutte contre les incendies. Dans ces conditions, ce motif est d’intérêt général en ce que ce projet d’extension d’un équipement collectif répond à l’un des objectifs mentionnés à l’article L. 300-1 du code de l’urbanisme. La réalité de ce projet est, pour sa part, démontrée tant par sa nature, mentionnée dans la décision de préemption et son rapport de motivation, que par le plan de masse simplifié daté du 17 octobre 2018 qui présente l’aménagement projeté, et ce alors même que ses caractéristiques précises n’auraient pas été définies à cette date. » (CAA Toulouse, 13 juillet 2023, commune de Malzieu-Ville, req. n° 21TL00890).

Benoît Jorion

Avocat à la Cour d’appel de Paris

Spécialiste en droit public