Pour indemniser le vendeur en cas de préemption illégale, le lien de causalité doit être établi
Le Conseil d’Etat considère comme indifférent le fait que le financement destiné à l’acquisition ait été obtenu après le délai fixé par la promesse de vente : « 6. En second lieu, à l’issue d’une procédure de préemption qui n’a pas abouti, le propriétaire du bien en cause peut, si la décision de préemption est entachée d’illégalité, obtenir réparation du préjudice que lui a causé de façon directe et certaine cette illégalité. Lorsque le propriétaire a cédé le bien après renonciation de la collectivité, son préjudice résulte en premier lieu, dès lors que les termes de la promesse de vente initiale faisaient apparaître que la réalisation de cette vente était probable, de la différence entre le prix figurant dans cet acte et la valeur vénale du bien à la date de la décision de renonciation. Pour l’évaluation de ce préjudice, le prix de vente effectif peut être regardé comme exprimant cette valeur vénale si un délai raisonnable sépare la vente de la renonciation, eu égard aux diligences effectuées par le vendeur, et sous réserve que ce prix de vente ne s’écarte pas anormalement de cette valeur vénale. En retenant que la vente du bien litigieux au prix initial était probable, dès lors qu’il ressortait des pièces du dossier qui lui était soumis que les acquéreurs avaient obtenu un financement bancaire en vue de l’acquisition au prix initial et que, même si ce financement avait été obtenu après l’expiration du délai prévu par la promesse de vente, aucune des parties à la vente n’avait renoncé à la transaction, la cour n’a pas dénaturé les faits de l’espèce et, en en déduisant l’existence d’un lien de causalité direct entre le préjudice invoqué par la société Saint-Denis 1 et l’illégalité de la préemption litigieuse, elle ne les a pas inexactement qualifiés. » (CE, 6 juillet 2023, Plaine commune, req. n° 464999).
L’auteur de la décision de préemption illégale tente souvent de démontrer que, eu égard aux conditions suspensives stipulées dans la promesse de vente, la vente empêchée par la décision de préemption n’était pas suffisamment probable. Il n’y réussit pas toujours : « 5. Il ne résulte toutefois pas de l’instruction, et plus particulièrement des termes de cette promesse de vente passée devant un notaire, que la réalisation de la vente n’était pas suffisamment probable, en l’absence de renonciation des parties dans les délais légaux et eu égard à la composition des prêts conditionnant la vente, étant relevé que, s’agissant du prêt relais, la commune n’apporte aucun élément susceptible de remettre en cause les allégations de M. et Mme A… soulignant que les acquéreurs évincés possédaient un bien dans cette commune. » (CAA Lyon, 16 mai 2023, commune de Chaponnay, req. n° 21LY03070).
A l’inverse, lorsque le vendeur estime que cette vente était suffisamment probable, pour le Conseil d’Etat, une telle question relève de l’appréciation souveraine des faits : « 3. Pour dénier à la société requérante droit à réparation du préjudice qu’elle allègue avoir subi du fait que la décision de préemption aurait rendu impossible la réalisation de la vente projetée, la cour administrative d’appel a relevé, par une appréciation souveraine des faits exempte de dénaturation, qu’aucune demande de permis de construire n’avait été déposée par la société Benjamin, ni à la date du 12 mars 2013 mentionnée dans une clause suspensive de la promesse de vente stipulant que la société s’engageait à déposer une telle demande avant cette date, ni même à celle, postérieure, de la décision de préemption et, au surplus, que les termes de la promesse de vente étaient particulièrement avantageux pour le promettant. En déduisant de ces constatations que, à la date de la décision de préemption, la vente n’avait pas de caractère suffisamment probable et en en concluant que le préjudice invoqué était purement éventuel, la cour administrative d’appel n’a ni commis d’erreur de droit ni dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis. » (CE, 2 juin 2023, SCI MB Immo, req. n° 464450).
Benoît Jorion
Avocat à la Cour d’appel de Paris
Spécialiste en droit public