Pour indemniser l’acquéreur en cas de préemption illégale, le lien de causalité doit être établi
L’illégalité suivante ouvre droit à réparation de l’acquéreur « : 8. Pour justifier l’usage du droit de préemption sur le bien situé 30-32 rue Trébois, le conseil municipal de la commune de Levallois-Perret, après avoir précisé que les lots concernés se trouvaient dans le périmètre du droit de préemption urbain renforcé défini par la commune et visé les arrêtés du préfet des Hauts-de-Seine des 28 février 2002, 4 mars 2003, 13 février 204, 10 février 2005 et 8 février 2006 constatant un déficit de logement social dans la commune, a indiqué que leur acquisition permettrait « la réalisation d’un programme de logements sociaux dans le cadre de la politique municipale de l’habitat ».Toutefois, la commune de Levallois-Perret n’a fourni aucun élément pour attester de la réalité, à la date de la décision de préemption, d’un tel projet de construction de logements sociaux à cet emplacement précis. Dès lors, cette décision doit être regardée comme étant entachée d’illégalité interne et, par suite, en dépit des allégations de la commune, fautive, sans qu’il soit besoin, eu égard aux préjudices invoqués par M. B, de se prononcer sur les autres allégations de fautes de ce dernier. » (CAA Versailles, 3 octobre 2023, commune de Levallois-Perret, req. n 21VE00824). En revanche, au regard des circonstances de l’espèce, la cour estime que le préjudice allégué n’est pas suffisamment réel et certain.
A noter que pour se dédouaner d’avoir pris une décision de préemption, qui ne pouvait être prise, sur un bien acquis par son locataire, le titulaire du droit de préemption ne peut rejeter la faute sur le notaire qui lui a adressé une déclaration d’intention d’aliéner : « 7. La communauté d’agglomération Lisieux Normandie ne peut s’exonérer de sa responsabilité résultant de la faute à avoir édicté cette décision illégale en se prévalant du fait que le notaire lui a adressé à tort une déclaration d’intention d’aliéner et qu’elle ne disposait pas de toutes les informations permettant de constater que la situation de M. B correspondait aux critères fixés au II de l’article L. 443-11 du code de la construction et de l’habitation, alors qu’en tant qu’autorité administrative compétente pour prendre la décision de préemption litigieuse, il lui appartenait de s’assurer de sa légalité et qu’elle n’établit l’existence d’aucune circonstance de droit ou de fait y ayant fait obstacle. Par suite, la communauté d’agglomération Lisieux Normandie doit être condamnée à réparer les préjudices subis par M. B en raison de l’illégalité de la décision du 22 juin 2020. » (CAA Nantes, 6 janvier 2023, communauté d’agglomération Lisieux Normandie, req. n° 21NT02531).
Le seul vice d’incompétence entachant une décision de préemption ne permet pas de regarder la condition de l’existence d’un lien de causalité comme remplie : « 4. Pour juger que M. B n’était pas fondé à demander réparation des préjudices qu’il estimait avoir subis du fait de l’illégalité de la décision de préemption du 12 août 2011, la cour administrative d’appel s’est fondée sur ce que cette décision avait été annulée pour incompétence de son auteur et que l’EPF PACA faisait valoir sans être contredit qu’elle était justifiée par un motif d’intérêt général. En écartant ainsi l’existence d’un lien de causalité direct et certain entre le préjudice subi par M. B et le vice d’incompétence entachant la décision de préemption, la cour administrative d’appel n’a pas, contrairement à ce qui soutenu, commis d’erreur de droit. » (CE, 13 novembre 2023, EPF PACA, req. n° 466959).
Un arrêt envisage cependant, à contrario, l’hypothèse où l’incompétence pourrait ouvrir droit à réparation : « 7. Dans ces conditions, alors qu’il n’est pas allégué que des dissensions entre les deux collectivités ou des raisons budgétaires caractérisées y auraient fait obstacle, il résulte de l’instruction que la même décision aurait pu légalement intervenir et aurait été prise, dans les circonstances de l’espèce, par l’autorité compétente, de sorte que MM. D et B ne sont pas fondés à soutenir que c’est à tort que les premiers juges ont considéré que la responsabilité de la commune de Rennes ne pouvait être engagée en raison de l’illégalité de la décision de préemption du 7 avril 2016. » (CAA Nantes, 27 octobre 2023, commune de Rennes, req. n° 22NT01325).
Benoît Jorion
Avocat à la Cour d’appel de Paris
Spécialiste en droit public