La mauvaise exécution d’un jugement annulant une décision de préemption ouvre droit à indemnisation

La tardiveté du titulaire du droit de préemption à proposer le bien illégalement préempté à l’acquéreur évincé peut être indemnisée dans les conditions suivantes : « 8. Il n’est pas contesté que le délai mis par la commune pour exécuter le jugement du 28 décembre 2018 du tribunal administratif de Rennes était excessif, à tout le moins pour n’avoir engagé la procédure de rétrocession prévue à l’article L. 213-11-1 du code de l’urbanisme, suivant l’injonction prononcée par ledit jugement, qu’à partir du 3 juin 2020. Si MM. D et B soutiennent que ce n’est en réalité qu’à la date du 21 juin 2021, à laquelle ils ont effectivement pu acquérir le bien préempté, que le jugement du 28 décembre 2018 doit être considéré comme exécuté, il ne résulte pas de l’instruction, qu’eu égard à la période de l’année en cause, le délai de deux mois mis par la commune pour leur proposer le bien, le 30 septembre 2020, à la suite de la renonciation à l’acquérir des anciens propriétaires, était excessif, ni que le délai écoulé entre la réception par la commune, le 20 novembre 2020, du courrier exprimant leur intention d’acquérir et l’établissement de l’acte de vente du 21 juin 2021 aurait été allongé du fait de celle-ci. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif a limité l’indemnisation de leurs préjudices à la période courant du 28 décembre 2018 au 3 juin 2020. 9. Dans ces conditions, MM. D et B sont uniquement fondés à demander l’indemnisation des loyers qu’ils ont dû exposer au cours de la période du 28 décembre 2018 au 3 juin 2020, qui contrairement à ce qu’ils soutiennent ont été exactement évalués à la somme de 26 209,58 euros par les premiers juges, sous déduction des charges de propriété économisées sur la même période. A ce titre, dès lors qu’ils établissent qu’en vertu du bail commercial dont ils étaient titulaires, la taxe d’enlèvement des ordures ménagères devait être répercutée sur les locataires, ils sont fondés à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif l’a déduite de l’indemnité accordée.10. Enfin, s’il résulte de l’instruction que MM. D et B ont subi, du fait de la situation d’attente et d’incertitude juridique pesant sur leur projet d’achat à titre professionnel et liée au délai excessif dans l’exécution du jugement du 28 décembre 2018, un préjudice moral, il n’en résulte pas en revanche que le tribunal aurait fait une insuffisante évaluation de ce préjudice en l’indemnisant à hauteur de la somme globale de 2 000 euros. » (CAA Nantes, 27 octobre 2023, commune de Rennes, req. n° 22NT01325).

En revanche, dans l’hypothèse d’une négligence à saisir le juge de l’expropriation alors qu’il trouvait trop élevée la proposition de rétrocession, l’acquéreur ne peut réclamer à être indemnisé de la plus-value manquée : « 7. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond, ainsi qu’il a été dit, qu’à la suite de l’annulation de la décision de préemption du 12 août 2011 par le jugement du tribunal administratif de Marseille du 30 mai 2013, l’EPF PACA a proposé à M. B d’acquérir le bien préempté au prix de 432 939 euros et que celui-ci, estimant ce prix trop élevé, n’a pas donné suite à cette offre. La cour administrative d’appel a relevé, par une appréciation souveraine non arguée de dénaturation, qu’en dépit du désaccord qui l’opposait à l’EPF PACA au sujet du prix auquel ce dernier devait, en exécution de l’injonction que lui avait adressée le tribunal administratif par son jugement du 30 mai 2013, lui proposer l’acquisition du bien illégalement préempté, M. B s’était abstenu de saisir le juge de l’expropriation afin que celui-ci fixe ce prix en application des dispositions précitées. En jugeant que, dans ces conditions, le préjudice qu’il alléguait avoir subi, tenant à la perte de chance de réaliser une plus-value à l’occasion de la revente du bien en cause, ne trouvait pas sa cause directe et certaine dans une faute qu’aurait commise l’EPF PACA dans l’exécution du jugement du 30 mai 2013, la cour n’a entaché son arrêt ni d’erreur de droit, ni d’erreur de qualification juridique des faits. » (CE, 13 novembre 2023, EPF PACA, req. n° 466959).

Benoît Jorion

Avocat à la Cour d’appel de Paris

Spécialiste en droit public