Exemples de cas ou l’utilité publique d’une expropriation a été jugée suffisante
L’appréciation de l’utilité publique d’une opération conduit en principe le juge administratif à contrôler successivement l’existence d’une finalité d’intérêt général, que l’expropriant ne peut réaliser sans recourir à l’expropriation, puis que le bilan est positif. Ces trois niveaux de contrôle sont parfois rappelés. Mais ils ne le sont pas toujours.
L’acquisition de terrains en vue de la création d’une zone d’activité économique : « 6. Il ressort des pièces du dossier, en particulier de la notice explicative du projet soumise à enquête publique, que la procédure d’expropriation porte sur trois parcelles d’une surface avoisinant 7 000 m², classées en zone 1AUx du plan local d’urbanisme de la commune destinée à être urbanisée en accueillant notamment des activités artisanales et industrielles non nuisantes. Il résulte de cette même notice que la CA Thonon Agglomération avait pour projet, conformément à la vocation de la zone, de réserver ces terrains pour mettre en place une zone d’activités économiques, afin de créer des emplois locaux, dans un contexte frontalier, et de favoriser une mixité des activités, dans une zone essentiellement résidentielle. Ce projet participe en outre à pallier à une insuffisance des zones dédiées aux activités « économiques dans ce secteur, lesquelles ne permettent pas de répondre à l’ensemble des demandes d’installation, ainsi qu’il résulte tant de la liste de demandes produites par la CA Thonon Agglomération, que du schéma métropolitain d’accueil des entreprises dans sa version provisoire de juin 2018 et de l’analyse des résultats de l’application du schéma de cohérence territoriale (SCOT) du Chablais entre 2012 et 2016. Par suite, ce projet, qui constitue une opération d’aménagement au sens de l’article L. 300-1 du code de l’urbanisme, répond à une finalité d’intérêt général. » (CAA Lyon, 21 décembre 2023, Communauté d’agglomération Thonon Agglomération, req. n° 22LY01132).
Le réaménagement d’un hameau dans le cadre du développement d’une station de sport d’hiver : « 17. Il ressort des pièces du dossier que le projet d’aménagement du hameau du Cernix à Cohenoz s’inscrit dans le cadre du projet de développement de la station de sports d’hiver du hameau, qu’elle forme avec la Commune de Crest-Voland voisine et qui est reliée directement à l’Espace Diamant. Ce projet, qui prévoit la sécurisation de l’accès au départ des pistes en séparant les flux des piétons de ceux des véhicules par la création d’un espace piéton de la place du Cernix à la route des Moulins et qui permet d’améliorer la circulation des véhicules sur la route du Prarian par la démolition du chalet, répond aux objectifs d’intérêt général de mise en sécurité des piétons par l’aménagement d’emprises protégées de la circulation automobile, et de fluidification du trafic des véhicules par agrandissement du rayon de giration de la voie routière, notamment des bus. Si les consorts C… font valoir que les objectifs de la commune auraient pu être remplis en envisageant une moindre expropriation et le transfert de leur chalet, nécessaire à leurs activités de dépôts d’articles du magasin de sport d’hiver détenu par M. G… C… et de bagagerie pour les chambres d’hôtes gérées par M. F… C…, sur un tènement détenu par la commune, toutefois, l’implantation du hangar au milieu de la place du Cernix nécessitait sa démolition et donc leur expropriation pour la réalisation du projet, lequel n’emporte au final qu’une expropriation de 222 m² pour une surface globale de 1087 m². La circonstance à cet égard qu’ils ne soient pas parvenus à un accord avec la commune pour la relocation de leurs activités ne suffit pas à caractériser un projet alternatif moins attentatoire à la propriété privée. Enfin, le coût financier et les inconvénients d’ordre économique que comporte l’opération ne sont pas excessifs au regard de l’intérêt qu’elle présente. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le projet serait dépourvu d’utilité publique. » (CAA Lyon, 21 décembre 2023, Préfet de Savoie, req. n° 22LY01078).
L’aménagement du chemin d’accès à une plage : « 19. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que l’opération litigieuse tend à l’aménagement du seul chemin d’accès public à la partie Sud de la plage de l’Anse des Cayes, en créant un passage de 3 mètres de large et de 24 mètres de longueur, afin de faciliter l’accès aux usagers, de permettre aux services de lutte contre l’incendie et de secours d’y accéder munis d’un brancard et de permettre le passage des engins de ramassage des sargasses. Il résulte de la notice explicative du projet, d’une part, qu’un passage de 2 mètres est nécessaire pour un brancardage par 4 agents sur une trentaine de mètres de sable, ce qui est confirmé par l’avis du SDIS du 2 octobre 2018, et, d’autre part, que la partie Sud de la plage de l’Anse des Cayes est particulièrement affectée par l’échouage de sargasses et que l’engin destiné au ramassage de ces algues mesure au minimum 2, 40 mètres de large. Le ramassage des algues doit être effectué dans un délai de trois jours pour éviter le dégagement par fermentation de gaz nauséabonds (hydrogène sulfuré), voire toxiques à haute dose. Le passage des engins par l’hôtel, qui au demeurant est fermé une partie de l’année, n’est pas durablement envisageable compte tenu des conséquences sur sa clientèle. L’opération répond ainsi à des objectifs de sécurité et de salubrité publiques, et la circonstance que d’autres plages de l’île ne bénéficient pas d’accès facilement praticables est sans incidence. » (CAA Bordeaux, 1er juin 2023, consorts Gréaux, req. n° 21BX00982).
La requalification d’un bâtiment : « 3. En premier lieu, Mme A… ne conteste pas que le projet engagé par la communauté d’agglomération Quimper Bretagne Occidentale, visant à » requalifier » la galerie Kéréon, bâtiment vétuste et ayant fait l’objet d’un arrêté de péril, pour y permettre l’ouverture de commerces au rez-de-chaussée, la construction de logements récents et l’ouverture d’un espace public à proximité, a une finalité d’intérêt général, l’arrêté contesté indiquant qu’il est de nature à contribuer à la revitalisation et à l’attractivité du centre-ville de Quimper. Si elle fait valoir que l’objectif annoncé de » densification de l’habitat » en créant de nouveaux logements pour faire emménager des familles au centre-ville ne serait pas pertinent au motif que le projet conduirait à la démolition de deux maisons afin d’en faire une place publique, il ressort des pièces du dossier que le projet doit entrainer par ailleurs la création de quinze logements neufs correspondant aux besoins de la population locale, alors que les logements implantés sur la parcelle de la requérante étaient alors inhabités. » (CAA Nantes, 3 février 2023, req. n° 21NT03156).
Un projet d’aménagement de quartier, en dépit de la modification du projet : « 18. En sixième et dernier lieu, la société requérante soutient qu’à la date de l’arrêté en litige, le projet d’aménagement avait perdu son caractère d’utilité publique en raison de la modification de ses caractéristiques notamment l’augmentation de la surface de plancher des logements et la réduction de celle affectée aux activités et services, ainsi que de celle du changement de l’aménageur et de la création de » l’Eco-quartier Rolland Courbet » qui illustre le changement d’échelle de l’opération. 19. Toutefois, s’il est constant que le projet » Eco-quartier Victor Hugo » a sensiblement évolué pour densifier les surfaces affectées au logement, qui passent de 75 000 m² à 120 000 m² en diminuant celles affectées aux activités économiques de 155 000 m² à 145 000 m², en raison de la confirmation de l’arrivée de deux nouvelles lignes de métro, une telle modification de la destination des ouvrages, alors que le plan de masse n’a pas été modifié et eu égard à l’ampleur du projet qui porte sur la création d’une surface de plancher totale de plus de 250 000 m², n’affecte pas de façon substantielle les caractéristiques essentielles de l’opération telle que celle-ci a été déclarée d’utilité publique par décret du 22 septembre 2014 et ne méconnaît donc pas la portée de la déclaration d’utilité publique. Ni le changement du bénéficiaire de l’opération, dont l’aménagement a été confié en dernier lieu à la SADEV 94, ni la circonstance que la phase du projet consacrée à l’aménagement du quartier délimité par les rues Rolland et Courbet a été nommée secteur » Eco-quartier Rolland Courbet « , ne sont par ailleurs susceptibles de constituer un changement de la consistance du projet. Ce moyen ne peut dès lors qu’être écarté. » (CAA Versailles, 9 novembre 2023, Société Les établissements Montcassins, req. n° 21VE02496).
Benoît Jorion
Avocat à la Cour d’appel de Paris
Spécialiste en droit public